Grâce à la renommée de L’Attaque des Titans, Before the Fall est aujourd’hui le manga le plus connu de Satoshi Shiki. Avec ses 17 tomes, c’est aussi son deuxième plus long. Pour autant, s’agit-il de son meilleur titre ? Voici mes impressions sur L’Attaque des Titans – Before the Fall.
En préambule, je rappelle que SSF est un site internet dédié à Satoshi Shiki. S’il doit y avoir un point de comparaison ou une mise en perspective de Before the Fall, ce ne sera donc pas avec L’Attaque des Titans, le manga de Hajime Isayama (dont je ne suis d’ailleurs pas un expert), mais uniquement avec les autres œuvres de Satoshi Shiki, afin de déterminer comment la série se situe au sein de la bibliographie de l’auteur.
Un trait familier
L’Attaque des Titans – Before the Fall s’insère entre XBlade et Dororo and Hyakkimaru dans la carrière de Satoshi Shiki. Son dessin est donc bien établi et reconnaissable. Le trait est fin et soigné ; les personnages, expressifs et facilement identifiables. Que ce soit par leurs postures, leurs mouvements, leurs mimiques ou par des gros plans sur leurs visages, l’auteur réussit à leur donner vie, mais aussi à représenter et à transmettre leurs sentiments.
Les arrière-plans, eux, sont moins présents que dans les précédents travaux de Satoshi Shiki, mais ils sont suffisants pour planter le décor. De manière générale, j’ai le sentiment que l’auteur poursuit un mouvement, déjà entamé dans XBlade, vers un allègement de son dessin. Cela se traduit par une majorité de cases aérées, avec un décor sommaire ou absent, et des personnages aux traits de visage simples et immédiatement lisibles.
Deux raisons peuvent expliquer cette évolution : une volonté de réduire la charge de travail que représente une planche, a fortiori pour un artiste habitué à dessiner deux mangas en parallèle, mais aussi une meilleure mise en avant des temps forts, régulièrement représentés avec des pleines pages ou des doubles pages où les détails ont toute leur place. Quoi qu’il en soit, ce n’est en rien un reproche de ma part. Au contraire, j’y vois le signe d’un auteur plus mature, qui privilégie l’efficacité à un soin et un détail extrêmes dans tous les instants.
Cependant, tout n’est pas parfait et la première faiblesse de L’Attaque des Titans – Before the Fall réside dans son character design, inégal. S’il fonctionne parfaitement chez les personnages principaux, à commencer par Kyklo, brun hirsute typique de Satoshi Shiki, ce n’est pas le cas de certains seconds rôles comme Maria ou Angel (principalement dans la dernière époque de la série), dont l’apparence semble moins inspirée.
De leur côté, les titans, malgré de notables variations d’échelle, sont parfaits dans leur rôle d’épouvantail. Leurs expressions de visage, souvent figées dans un sourire malsain, font leur effet à chacune de leur intervention.
Des personnages sans relief
La question des personnages me permet d’aborder ce qui représente selon moi le principal défaut de L’Attaque des Titans – Before the Fall : leur caractérisation. Cela commence par le protagoniste, Kyklo, qui apparaît trop lisse. Avec un passé aussi pesant que le sien, enrichir sa personnalité avec quelques aspérités ou une part d’ombre lui aurait apporté davantage de consistance.
Le problème est encore plus frappant chez les personnages secondaires, qui souffrent en plus de l’absence de contextualisation. Sans passé, ni entourage, la plupart semblent réduits à leur fonction dans l’histoire. De ce fait, ils apparaissent creux et ne suscitent ni intérêt, ni empathie. Le récit aurait gagné à leur laisser davantage de place et à les étoffer en livrant quelques détails sur leur vie. C’est d’autant plus regrettable qu’il s’agit d’un défaut rare dans les mangas de Satoshi Shiki, l’auteur réussissant généralement à donner une existence propre à ses personnages avec quelques lignes de dialogues ou de brèves analepses.
Malgré tout, certaines figures de Before the Fall tirent leur épingle du jeu. Je pense aux antagonistes Xavi et Gloria (qu’il ne faut pas réduire à la cravache avec laquelle elle est initialement caractérisée), auxquels les différentes facettes apportent de la nuance et de l’épaisseur. Je citerais également Carla, dont le parcours de vie et le combat contre l’emprise de sa famille sont touchants.
Sa trajectoire est l’un des enjeux qui fonctionne le mieux dans un récit qui aurait probablement dû privilégier ses personnages plutôt que certains axes narratifs, surtout lorsque ceux-ci se montrent moins convaincants.
De multiples enjeux à l’intérêt inégal
L’histoire s’articule autour de trois fils conducteurs principaux : le parcours de Kyklo, l’invention du dispositif de manœuvre tridimensionnelle et le sort du bataillon d’exploration. Cette addition donne un récit qui ne sait pas toujours sur quel pied danser et cela, au détriment de l’intrigue principale, que je considère être la vie de “l’enfant-titan” (ce dont atteste le fait que le manga s’ouvre sur sa naissance). En effet, cette dernière est régulièrement polluée par les autres enjeux, qui amoindrissent sa portée émotionnelle. L’exemple le plus notable se situe dans le dénouement, qui néglige la dimension symbolique du dernier combat de Kyklo. C’est plus anecdotique, mais même l’ultime case de la série préfère laisser le lecteur sur une représentation du dispositif plutôt que sur la joie des protagonistes.
La coexistence de ces trois lignes directrices est un choix lié à l’adaptation en manga des romans originaux de Ryô Suzukaze. En effet, ceux-ci sont découpés en deux parties, et autant de récits distincts : l’invention du dispositif par Angel dans le tome 1 et la vie de Kyklo dans les tomes 2 et 3. Dans son manga, Satoshi Shiki a entrepris d’entremêler les deux, utilisant notamment des analepses pour revenir sur le parcours d’Angel.
À mes yeux, Before the Fall aurait dû se focaliser sur le parcours de Kyklo et mettre au second plan les intrigues plus techniques que sont celles relatives à l’existence et à l’équipement du bataillon d’exploration. Destinées aux passionnés les plus maniaques de L’Attaque des Titans, ces dernières ont de plus tendance à réduire le public du titre aux seuls connaisseurs de l’œuvre de Hajime Isayama, à l’inverse des enjeux humains et émotionnels, universels.
Les histoires politiques me confortent tout particulièrement dans ce constat. Schématiques, voire simplistes, elles sont à l’image de certaines des figures qui les animent. Le souci était probablement de rester accessible (peut-être vis-à-vis du public d’adolescents ciblé par le magazine Shônen Sirius), mais ces intrigues convainquent moins. Un problème similaire se situe dans l’arc narratif des bas-fonds de Stohess. Loin du coupe-gorge attendu, le cadre y est aseptisé, avec un environnement presque désert et des habitants bien peu menaçants.
Une histoire divertissante
Bien sûr, le tableau n’est pas si noir pour un scénario qui a quelques atouts dans sa manche. Bien mené et sans incohérence manifeste, celui-ci enchaîne avec naturel les différents arcs narratifs jusqu’à arriver au dénouement. De plus, la lecture est prenante, réservant son lot de suspense, d’émotion et d’action. Bref, le cocktail d’un divertissement réussi est bien présent et préparé avec savoir-faire.
Difficile de s’ennuyer à la lecture malgré un rythme parfois irrégulier, notamment dans le dernier tiers de Before the Fall. Cela concerne les deux dernières arches narratives du manga. D’un côté, la formation des recrues s’étire sur plusieurs volumes articulés autour de péripéties anecdotiques. Les enjeux sont minces et les personnages mis en avant, plus fades que Carla et Kyklo, en retrait dans cet arc, rendant encore plus criantes les longueurs dont souffre cette partie. Lui succédant, le final de la série, lui, se montre expéditif, ne laissant pas suffisamment de place au suspense et à l’émotion. Dans les deux ultimes tomes qui le composent, Satoshi Shiki donne l’impression d’être pressé de finir le titre. Serait-ce la faute à un fléchissement de sa popularité ? Cela ne serait pas étonnant au sortir d’un arc moins réussi comme celui des recrues du bataillon d’exploration.
Ce défaut ne nuit cependant pas au divertissement offert par L’Attaque des Titans – Before the Fall. Les scènes d’action, en particulier, se distinguent par leur sens du spectacle. Satoshi Shiki profite du gigantisme des titans pour offrir d’impressionnantes confrontations. Sous la forme de combats et de course-poursuites, l’auteur en met plein les yeux avec des pleines-pages ou des double-pages spectaculaires. Saisissant l’instant, ces dernières sont des arrêts sur image qui figent le mouvement autant qu’elles le mettent en relief.
Ces passages sont un témoin des progrès de l’auteur dont les scènes d’action sont constamment claires et lisibles. Ses précédents mangas souffraient de ratés à ce niveau, allant jusqu’à éluder certaines d’entre elles, mais, ici, il ne les esquive pas et s’en sort avec les honneurs.
Le mot de la fin
Mon sentiment sur L’Attaque des Titans – Before the Fall est donc mitigé. S’il est indéniablement divertissant, le titre est pour moi l’un des plus faibles de Satoshi Shiki. C’est aussi celui dans lequel je l’ai le moins reconnu.
L’univers de Hajime Isayama était-il vraiment fait pour lui ? Le matériau de base de Ryô Suzukaze avait-il suffisamment d’atouts pour mériter une adaptation en manga ? L’auteur a-t-il bénéficié de suffisamment de liberté pour pouvoir apporter sa touche personnelle ? Quelles que soient les réponses à ces questions, force est de constater que Satoshi Shiki n’a pas réussi à s’en saisir avec la même acuité que les autres adaptations dont il s’est occupé.
Pour un amateur de l’artiste comme moi, Before the Fall reste intéressant, ne serait-ce que pour constater l’évolution de son dessin et de sa narration, mais en ne développant pas suffisamment ses personnages, il perd la saveur, voire l’essence, de ses autres travaux.









